Victime de sévices dans les locaux de la Sécurité militaire à Douala, en 2019, le musicien camerounais est parvenu à mettre la main sur une vidéo de cet épisode douloureux, qu’il a rendue publique ce 23 octobre. Il explique à Jeune Afrique son traumatisme, et ses combats.
L’homme que nous rencontrons ce 23 octobre, sur le coup de 21 heures, dans un café situé en face de la gare du Nord, à Paris, a l’air inhabituellement sombre. On l’a pourtant connu jovial, animant ses « directs » sur Facebook, amusant ses milliers de followers avec ses chansons. Mais, ce soir, Longkana Agno Simon, alias Longuè Longuè, n’a pas le cœur à la fête. D’un geste ferme, il ouvre la porte du café, le visage impassible, puis, avant d’accepter de nous parler, demande à vérifier notre identité.
Entre les griffes de la Semil
Sa méfiance est compréhensible. En 2019, le musicien a été torturé, dans son pays, par des membres de la Sécurité militaire (Semil). Depuis, il n’est plus le même. L’entretien ne sera d’ailleurs pas enregistré. « Je préfère que vous preniez des notes », nous intime-t-il. Est-il devenu paranoïaque ? « Presque », répond-il, avant de revenir sur cet épisode qui l’a traumatisé et dont il a publié des images, ces derniers jours, sur les réseaux sociaux.
Comment Longuè Longuè s’est-il retrouvé entre les griffes de la Semil ? Les faits remontent à 2019, un an après le scrutin présidentiel d’octobre 2018. L’opposition continue de dénoncer un coup d’État par les urnes, Longuè Longuè fait lui aussi entendre sa voix : « Maurice Kamto a remporté les élections. Il a battu Paul Biya, mais vous avez volé cette victoire ». Peu après, le chanteur est arrêté, à Douala. C’était un matin de mai, à l’hôtel Sawa, se souvient-il.
Des agents de la Semil viennent le chercher. « Ils m’ont dit que le commandant voulait me parler, mais, dès mon arrivée à la Semil, ça a été un véritable carnage. » Mains solidement liées derrière le dos et pieds coincés sous une chaise, sur laquelle un militaire en chemise s’est assis, on lui assène des coups sur les jambes puis sur la plante des pieds, à l’aide d’un revers de machette. Lui implore que cela cesse, appelle au secours.
« Ils paieront »
Toute la scène est filmée par un homme, que le musicien dit être un lieutenant-colonel, chef de l’antenne de la Semil à Douala, où la séance de torture a lieu. Longuè Longuè est enfin libéré. Le lendemain, raconte-t-il, « j’ai reçu un appel d’Émile Bamkoui [le patron de la Semil, alors en déplacement en Chine], qui m’a dit qu’il avait ordonné qu’on me libère ». Une façon de lui faire comprendre qu’il est encore sous surveillance ? En marge de son arrestation, on lui a en tout cas confisqué son passeport.
« On ne me l’a jamais rendu et, à chaque fois que j’en ai fait la demande, on m’a renvoyé vers Bamkoui », explique-t-il. « Ils paieront et justice sera faite », lance-t-il en parlant de ses bourreaux et en disant espérer le soutien du « peuple ». « Depuis ces tortures, je me sens bloqué, autant mentalement que spirituellement », confie-t-il. Pourtant, cinq années après les faits, il éprouve un mélange de « fierté » et de « regret ». Fierté de n’avoir jamais abandonné son combat, regret d’avoir tout perdu.
« Je me sens marginalisé par ce peuple que je voulais libérer », déplore-t-il. Parce que, selon lui, les gens ne croient que ce qu’ils voient, il s’est mis à la recherche des images des actes de torture qu’il a subis, puis a promis de les publier sur les réseaux sociaux. Il fallait répondre à ses détracteurs, qui l’accusaient d’inventer, de vouloir faire le buzz. Après avoir diffusé la bande sonore, il a publié les images, ce 23 octobre. Leur vue a suscité une vague d’indignation.
Cabral Libii, le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), a ainsi dénoncé « la cruauté de certains commandants de la République, si forts face aux plus faibles ». Maurice Kamto, le chef du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), a qualifié ces actes de « barbarie d’État » et a réclamé qu’une « enquête urgente » soit diligentée « pour traduire en justice les auteurs de ces atrocités ».
Joseph Beti Assomo, le ministre chargé de la Défense, a réagi et ordonné l’ouverture immédiate d’une enquête. Inquiétera-t-elle Émile Bamkoui, le très redouté patron de la Semil ? Celui-ci, qui est notamment proche du secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, ne manque ni d’appui ni d’ennemis à Yaoundé.
Source: Jeune Afrique